lundi 10 mars 2008

incommunicabilité




"Cette lettre , mon amie, sera très longue. Je n’aime pas beaucoup écrire. J’ai lu souvent que les paroles trahissent la pensée, mais il me semble que les paroles écrites la trahissent encore davantage. Vous savez ce qui reste d’un texte après deux traductions successives. Et puis, je ne sais pas m’y prendre. Ecrire est un choix perpétuel entre mille expressions, dont aucune ne me satisfait … "
Marguerite Yourcenar Alexis ou le traité du vain combat (1929)


Edward Hopper, Compartiment C, voiture 193 (1938) et Hotel room

Il m'a semblé intéressant d'établir une correspondance entre la poignante confession qu'Alexis adresse maladroitement à sa femme, et la solitude qui ressort de l'anonymat des décors modernes et froids des tableaux de Hopper. J' imagine que la longue et unique lettre d'Alexis, qui est en réalité son journal intime dans lequel il a exprimé toute la souffrance de son existence, est lue par une femme déjà lointaine, indifférente, dont la vie a pris une autre direction. Elle lit ce témoignage de détresse dans un banal compartiment de train ou dans une chambre d’hôtel impersonnelle ...

1 commentaire:

Maryline M.L. a dit…

Très bel article, Catherine, et lien subtil entre les tableaux ( que j'aime bcp) et le texte autour du thème de la mise à distance.
En effet,selon moi "les paroles trahissent la pensée", car les mots fusent, jaillissent, éclaboussent même: c'est l'immédiateté qui domine, c'est l'instant qui prime sur la ré-flexion.
Au contraire, écrire nécessite ce temps de mise à distance,ce recul, cette distanciation justement, ce regard tourné vers soi. Et même si écrire peut se faire sous le coup de l'émotion ( ds le cas de lettres par ex.) c'est justement cet espace entre soi et sa pensée, ses sentiments et ce que l'on va coucher sur le papier qui est essentiel ( on n'écrit pas de la même façon à son amant ou à son notaire).
Ecrire pour moi,allie plaisir et souffrance.Manier les mots est un jeu stimulant pour l'esprit. Chacun est soupesé, choisi, décrypté, pour traduire au plus près sa pensée,la ciseler,définir l'intention qu'on y met, et comme la langue française est pleine de nuances, la satisfaction de choisir, la jubilation de déceller enfin le mot juste,de trouver le rythme et la musicalité de la phrase est une alchimie réjouissante.
En même temps, c'est un exercice de rigueur, avec la contrainte de ne pas trahir ce que l'on veut dire, de garder le contrôle de sa pensée , de circonscrire son émotion, de rester dans sa vérité et de chercher, chercher encore...Egalement,en face il y a un lecteur: comment l'aborder,lui dire les choses avec ses mots à soi; que va-t-il en saisir; que doit-il deviner entre les lignes et que peut-on laisser voir de soi, quelle marge d'impudeur se donne -t-on?
Ecrire une lettre est donc un exercice savoureux, délicat, complet ,et un combat que l'esprit mène avec lui-même.
Qu'en dis-tu? C'était un court essai de réflexion matinale ( pour lequel j'ai pris plaisir et j'ai peu souffert si cela te rassure !!)